la mémoire pour passeport (reprise 2021)

mars 2020 / sidération

J’introduis rarement mes textes. Celui-ci fera exception.
Le printemps des poètes fleurit ici et là sur le thème « frontières ».
Ce sera ma contribution numérique.

C’est la réédition d’un texte qui date de l’an dernier, écrit suite à la rencontre impromptue avec les gendarmes, postés en attente, au-dessus de Cervières, proche de la frontière avec l’Italie.

De l’herbe
l’hiver a grillé les espoirs
et sur l’autre flanc
ils l’attendent

Il garde de sa terre le goût rance des éclats
le tenace des stridences
et la mâchoire crispée des peines inoxydables
Enfouis dans une poche
les premiers pétales à la hâte cueillis
la tige qu’on arrache
grains du sol
aux radicelles collés

Il n’a pour passeport qu’une mémoire déchue
et l’esquisse d’un sourire
sa résistance au malheur
et les mois écoulés
à encaisser des hommes
l’ombre de leur âme

Ils l’attendent
entre bleu et saumâtre
leurs bouquets de jonquilles précoces
pour cadeau de bienvenue
Des bras pour réchauffer son corps
l’accolade qu’aux survivants
on donne à l’arrivée

Mère a dit qu’il leur fallait
d’un portail faire le deuil
et de leur innocence
ranger les derniers jeux
Aux départs qui arrachent
perlent les instants de bonheur
Les illusions d’enfant
au sol sans bruit
s’écrasent

Il coule sur son cœur une onde de chagrin
et on n’en saura rien
Il n’a pour passeport que l’éclat d’un sourire

Ils l’attendent
et des jonquilles
à la lueur des gyrophares
la fragrance d’un mensonge

Est-ce ses yeux qui jamais ne riaient
à cette grand-mère inconnue
Une chape qui dans le dénuement
servait de couverture
Cette grammaire qui confondait la langue
et des pommettes rougissait le saillant
Ces rues qu’elle enfournait comme des croissants chauds
et sur ses pieds
les regards posés